Protocoles de disparition

1/ Noter minutieusement sa vie et les pensées qui vont avec sur un timbre-poste, coller le timbre-poste sur enveloppe vide que l’on envoie à un inconnu. En sortant de la poste traverser juste devant le tramway.

2a/ Noter minutieusement sa vie et les pensées qui vont avec sur une feuille de papier à cigarette, rouler une cigarette avec cette feuille, la fumer lentement puis disparaître suivant la méthode de son choix.
Faire mélanger ces cendres à ses propres cendres dans une urne en forme de poire, faire reposer puis jeter au feu le tout.

2b/ Noter minutieusement sa vie et les pensées qui vont avec sur un ruban de papier constitué de feuilles de papier à cigarette, avant de disparaître suivant la méthode de son choix, en plonger l’extrémité dans de l’encre noire. Le temps fera le reste.

3/ Noter minutieusement sa vie et les pensées qui vont avec sur un ruban de papier constitué de feuilles de papier à cigarette, avant de disparaître suivant la méthode de son choix le suspendre en plein air. Les intempéries feront le reste.

4/ Enregistrer minutieusement sa vie et les pensées qui vont avec sur une bande magnétique, avant de disparaître suivant la méthode de son choix mettre en mode réenregistrement.

5/ Noter minutieusement sa vie et les pensées qui vont avec sur des boules de papier, avaler toutes les boules de papier et mourir d’étouffement.

6/ Graver minutieusement sa vie et les pensées qui vont avec sur des tablettes de pierre ; disposer ces tablettes dans un bac. Remplir d’acide. Disparaître suivant la méthode de son choix (éventuellement en se jetant dans le bac, solution facultative). La réaction acide-base fera le reste.

7/ Noter minutieusement sa vie et les pensées qui vont avec sur du papier d’emballage. Emballer un bâton de dynamite dans ce papier, allumer la mèche et attendre sans s’éloigner. L’explosion fera le reste.

8/ Noter minutieusement sa vie et les pensées qui vont avec sur les feuilles d’un arbre à l’automne. La chute des feuilles et l’hiver qui approche feront le reste. Disparaître suivant la méthode de son choix au printemps.

9/ Noter minutieusement sa vie et les pensées qui vont avec sur la ligne blanche d’une route départementale, continue ou non. Continuer jusqu’à épuisement du sujet, se coucher sur la route et attendre.

10/ Noter minutieusement sa vie et les pensées qui vont avec sur des pelures de pommes de terres. Donner ces pelures à manger à un cochon, envoyer le cochon à l’abattoir puis suivre le même chemin en se faisant passer pour un autre cochon.

11/ Énoncer minutieusement sa vie et les pensées qui vont avec à un escargot, faire fricasser l’escargot, le déguster lentement puis manger jusqu’à mourir d’indigestion.

12/ Noter minutieusement sa vie et les pensées qui vont avec sur des chiffons rouges, attacher ces chiffons de manière lâche à une canne à pêche, s’installer au bord d’une mare, faire enlever les chiffons par les grenouilles, brûler la canne à pêche puis se noyer.

13/ Noter minutieusement sa vie et les pensées qui vont avec sur un ruban de papier d’un seul tenant, introduire ce ruban dans sa bouche puis continuer à écrire en l’ingérant au fur et à mesure et jusqu’à étouffement.

14/ Mettre un aspirateur en route, énoncer clairement dans l’embouchure sa vie et les pensées qui vont avec, arrêter l’aspirateur, en extraire la poussière, la brûler. Redémarrer l’aspirateur et aspirer tout l’air des poumons jusqu’à étouffement.

2532 et fin/ Noter minutieusement sa vie et les pensées qui vont avec de toutes les autres manières envisageables et jusqu’à mort complète.

Le temps suspendu

De la musique répétitive

Le détachement de l’intention?
« C’est l’intention qui compte ». L’existence est intention, le néant le triomphe absolu de la non-intention. Pas loin de la « petite mort » de la pleine conscience ou du caisson.
Donc musique minimaliste ou « musique sans intention » (Terry Riley), dite « post-moderne ».
C’est peut-être ça la post-modernité, la fin de l’intention car la fin de la finalité, plus prosaïquement la fin du projet.
Mais est-ce le cas?
Parlons de répétition
« dépassement extatique du temps dans la répétition, dans l’obsession contemplative du mème ». Dans les Glossiennes de Satie on savoure en boucle un thème et son contrepoint. Pour prolonger son rêve dans un lâcher-prise, abandon de projet musical, suspension du temps, abandon du désir pour jouir de la présence pure, intemporelle, inaliénable, définitive.
Pour exorciser les répétitions d’un quotidien subi.

Au final une intention, il ne s’agit donc pas d’une musique sans intention.
Seule une musique aléatoire peut y parvenir. Ou alors le silence définitif?

Ode aux poils rebelles

Poésie libertaire

poil au doigt
poil au nez
poil sur les jambes
poil des oreilles
poil sous les bras
poil à ma zout

poil de cul et poil de couille
poil à la tabatière et poil au sein

poil à poil
poil à la poêle
poil au ptit poil
poil à un poil près

poil noir poil blond
poil roux ostracisé stigmatisé extradé refoulé reconduit à la frontière
poil dur poil mou poil long
poil frisé poil raide poil ras
poil coloré poil décoloré
poil blanc anémié

poil soumis poil domestiqué poil mis en pli
poil bigoudisé
poil brushisé
poil traité à la lumière pulsée
poil flashé
poil laserisé
poil épilé poil rasé poil brûlé
poil bien rangé
poil bien rasé
poil bien taillé
poil designé
poil tirebouchonné
poil domestiqué

poil dans la main
poil qui dépasse
poil qui chatouille
poil à contrepoil

poil rebelle
poil fusillé
poil libertaire
poil martyrisé
poil révolté
MAIS POIL LIBÉRÉ !!!

(terminer avec des accents gaulliens)
PS:
Nous constatons un dégât collatéral: la réduction drastique de vieux amis de l’humain, les morpions, bientôt classés espèce en voie de disparition.

Navigation proustienne

Méditation en navigation

Avant futur Arrière passé pensée arrière
Naviguer assis vers l’arrière
voir des paysages passés qui s’enfuient au loin
voir le sillage de l’hélice se diluer et disparaître
maintenir le souvenir le regarder le scruter et sans anticiper
savourer les souvenirs cuisiner les résidus du temps sans pour une fois imaginer des possibles
dont au mieux
un seul
adviendrait
regarder vers l’arrière du bateau qui avance c’est naviguer proustien
sombrer dans les délices
de la digestion
de ce qui n’est plus
et n’a jamais été d’ailleurs si ce n’est en esprit
côtoyer les fantômes s’abîmer dans une perspective évanescente
en un état de sidération absolue
abandonner l’idée du retour en arrière ne plus agir ne plus penser libre de se détacher enfin
d’oublier ses tripes

L’heure

L’heure n’est plus à la discussion l’heure est au drame
pour dire ce qu’on peut encore dire qu’on doit dire
pas pour rire pas pour s’occuper
l’heure n’est plus à l’heure
dépouillée écorchée
l’heure est à l’organe organiiiiiiique cliniiiiiiue
l’heure n’est plus aux petites cuisines aux petits plats garnis
l’heure est
aux
pieds
dans l’plat / des platitudes habituelles impuissantes à combler ce vide intersidéral
à calmer cette douleur intercostale
ce syndrome de la vérité essence ultime
tension fondamentale
scansion récurrente et fonction de base.
effort inutile définitivement inutile
point omega de la viande des tripes et de la cervelle
tentative erronée d’un désir aberrant
projet inadéquat
stigmate par trop consistant
encroûté
infecté
et sanguinolent
exorcisme sans effet de l’inconsistance universelle
AUTANT LAISSER TOMBER!

Création du SPROF

Nous membres de la Société PROtectrice des Fichiers, devant le constat suivant :
• Des milliards de fichiers sont jetés à la poubelle ou écrasés chaque jour sans aucun respect.
• Leur sort final n’est aucunement pris en considération par qui que ce soit.
• Leur transport par internet les expose à toutes sortes de sévices tels que disparition dans le réseau, atteinte par des virus et autres avatars.

Le tout sans qu’ils aient même demandé à venir au monde.

L’angoisse du fichier au moment de la mise à la poubelle

Décrétons ce jour le 7 Novembre 2018 la création du SPROF et déposons devant les plus hautes autorités de l’église et de l’état la déclaration des droits des fichiers.
Cette déclaration vaut pour loi  et institue les droits et devoirs de la société humaine à l’égard de cette espèce victime de génocide permanent.

Devoirs du créateur
En conséquence tout utilisateur de fichier devra dorénavant jusqu’à désormais respecter les règles suivantes :
• Tout fichier sera sous la responsabilité de la personne qui l’a créé, laquelle aura envers lui les obligations de protection, de respect et d’accompagnement.
• Elle devra le classer correctement afin de ne pas le perdre ou de ne pas le jeter à la poubelle par mégarde.
• En cas de nécessité absolue, qui devra être démontrée devant le tribunal compétent, autorisation sera donnée par ce tribunal au créateur du fichier et à lui seul de le supprimer après avoir observé les règles d’usage conformes au respect de la personne des fichiers, à savoir procéder à cette suppression sans occasionner de souffrance.
• Tout fichier devra comporter la signature du créateur afin d’identifier tout contrevenant à cette loi.
• Dans le cas où un fichier ne serait pas signé le contrevenant pourra être condamné à une peine de 1 jour à 10 ans d’utilité publique dans un centre de tri et de restauration de fichiers. En cas de bonne conduite cette peine pourra être réduite de 2 jours pleins.

Droits du fichier
• Tout fichier se considérant victime du non-respect de cette loi pourra à tout moment, et ce  dans la limite de 365 jours à la date de l’infraction, déposer une requête auprès du tribunal compétent.

L’adhésion au SPROF, association à but purement lucratif, est ouverte à toute personne disposant d’un budget suffisant.

Conduite étrange

Notre correspondant local-spécial pour les nouvelles bizarroïdes, surnommé « Le Gros » par « La Volaille », nous informe ce jour des agissements d’un individu qui, par sa conduite étrange, nous incitera tous à quelques réflexions ontologiques (dimension qui a échappé à 20 neurones et Oust-France bien sûr).
De ce Don Quichotte en quête d’absolu ou nouveau surréaliste nous ne pouvons que saluer avec le plus profond respect des performances qui figureraient sans faillir dans les plus grandes galeries internationales d’art contemporain.
Le comité de rédaction réuni d’urgence, au vu de l’importance de ces faits et gestes, décide donc de livrer à ses lecteurs de suite l’information:

Fait 1

Fait 2

Fait 3

La question qui nous taraude (aïe) est: qui est-ce ? on sait qu’il a 31 ans, de sexe masculin. Peu de choses, et nous supposons que la police ne nous livrera pas les éléments manquants. Notre équipe d’expert travaille donc à décoder le fameux message « Inspecteur Merlaux, bureau securitrax, malfaçons, traces d’oxydations précoces, demandes d’indemnités à l’artiste, refusé, cadre décennal ».
Alors chers lecteurs nous vous invitons donc à sortir de votre lit et à apporter vos éventuelles  lumières pour la suite de cette enquête.

Les vacances

Ah les retours de vacances !

On pourrait penser que les vacances, par étymologie, sont propices à la vacuité.
Que nenni ! il s’agit plutôt d’un sport collectif qui consiste à remplir le vide temporel et spacial. Il s’agit essentiellement d’acquérir de la valeur supplémentaire, de remplir frénétiquement le vide intérieur, propre à tant d’individus, de souvenirs valorisants.
Sillonner l’espace terrestre et compresser dans un minimum de temps le maximum d’ersatz d’expériences. Hystérie de nos contemporains, panique devant le vide de l’existence.
« Tu as bougé cet été? », pour vérifier qu’on a bien suivi l’injonction communément admise. Eh oui, la performance est de mise : on comptabilise le nombre de kms parcourus, les nouvelles rencontres, et surtout on va le plus loin possible. Je vois à ce propos que la grogne contre le tourisme est un phénomène nouveau (et intéressant). Ce tourisme qui est la plus profonde des illusions, galvaudant l’idée du voyage dans ce qu’elle a de plus noble, ce tourisme où l’on achète la jouissance de lieux précieux en aliénant leurs habitants par une dépendance à cet argent facile. Ce tourisme qui ruine nombre de cultures authentiques.
Et le bouquet c’est la rentrée, où il faut par politesse subir les récits de ces aventures standarisées, illustrées de milliers de photos d’amateurs sans intérêt si ce n’est pour celui qui les a prises.
Par chance les soirées diapos ont disparu de la circulation ! (tiens, si on s’en faisait une pour se souvenir comment on somnolait dans la pénombre, bercé par le claquement régulier du chariot…). Quoique… au moins on pouvait dormir un peu, tandis que devant un écran de smartphone on est à découvert.