CHRONIQUES D’UN ÉCHOUAGE ANNONCÉ

Constat d’un abandon de poste
Jacques LAROCHE 2020 / Tous droits réservés

PRÉLIMINAIRES

TRANSIT

allongé l’obscurité des camions pourris sur la route
il respire au ralenti allongé dans l’obscurité
voyage long et stade fœtal le monde en implosion
Afrique voyage en lui le continent noir comme révélateur
si proche charnel
voyage express la route et les camions la pluie
après des routes sans âme Bordeaux la grise traversée silencieuse puis la descente sur Bayonne qui éclate au soleil!
cour de ferme au soleil caquètement des volatiles qui éclabousse le soleil levant…
au passage une nuit sous un escalier et le lendemain l’odeur de l’urine des sommeils blancs sur des bancs froids sur des remparts glacés étrangeté du décalage quand la journée vire au transparent
l’homme parle odeur du gas-oil puissance sourde du moteur 40 tonnes glissent comme en un rêve Charon te mène à ta découverte
c’est la descente immaculée c’est vers le fond de soi
sur la route gît la vieille gangue incrustée de scories
sur la route l’avant devient l’après
l’habitude a passé la main
traverse des Pyrénées dans la chair de la brume étouffant le monde
d’Espagne en Andalousie royaume de l’astre jaune
les rires chauds et les pleurs de sang de la liberté en lutte
la misère et la gloire
charnière limitrophe de l’autre monde
odeurs fébriles de la terre ocre odeurs de chair sèche et de peau fumée
parfums d’épices non volatils épanouis dans la fange
le monde révélant ses charnels secrets
la femme est voilée l’homme est glabre ils sont odeurs de cuir et de musc
sans transitions
ils sont de la terre où ils vivent
et le nouvel homme qui arrive souffre d’absence et d’opacité
sa vérité est dans la position couchée dans l’arrêt des fonctions premières pour atteindre enfin au présent de toujours à l’état solide
mémoire d’un moment éternel couché dans la saumure d’un silence absolu

SUR LES RAILS

nuit sombre et glauque
il va au charbon dans la fumée mortifère
l’horizon se dessine au lointain improbable des zones limitrophes
dans sa main calleuse pèse de tout son poids un lourd sabot d’acier froid qui lui glace les os
entre les rails l’homme avance sans âme
sur les rails progresse le lourd wagon chargé de silence sombre
homme et bête unis pour la fusion suprême…

CONSTAT EXTERNE

CODEX OLIVETTI

————————- I ————————-
sous la peau de l’état commun sommeillent de cafardeuses allégories aux funestes desseins
l’alpha et l’omega sont infestés de dangereux syndromes.
il serait archaïque de croire à la trivialité des parallèles et des méridiens singuliers.
————————- II ————————-
du fond de ses jours anesthésiés remontent des bribes d’humanité nimbées des duvets du réel, d’illusoires injonctions à penser l’indivisible d’existences stratifiées, ces ordinaires vides au descriptif sommaire, chimères sur mesure, fictions épileptiques d’un monologue douteux.
————————- III ————————-
il n’y a pas de méthode pour vivre
rêver est une obligation
et vivre est une
option
————————- IV ————————-
dégageant les scories du jour écoulé, phrases tronquées regards biaisés, il gratte les croûtes de ses fictives rédemptions, égrenant les stigmates d’une absence répétée, sujet creusant son sujet dans l’axonge des mots.
————————- V ————————-
pour lui, arpenteur obsessionnel de ses jours et de ses nuits, atteint d’ectopisme endémique, le troisième point sera toujours inaccessible, sa vérité sera toujours fiction.
les injonctions au réveil à l’adresse du dormeur dysthymique resteront lettre morte.
————————- VI ————————-
et les statues de marbre aux cruelles lèvres froides ne peuvent plus bouger, massive défécation d’une épistémè onirique, ectoplasmes cryogénisés.
la phylogénie limbique éjacule un somptueux paradigme ambulatoire et crache des coulées de larves énucléées.
————————- VII ————————-
la logorrhée algorithmique des monstres aux pestilences dorées emplit les corridors où croupissent les âmes vaincues.
les petites vies parsèment le champ du jour et, la nuit, le chant incongru d’un oiseau perle un silence empoisonné de sous-entendus.
les insomnies pullulent en dépit des neurotoxiques prescrits par la prépotence centrale.
————————- VIII ————————-
des flots de liquide sémantique envahissent les circuits neuronaux et les enfant apoplectiques s’enfoncent dans des urnes sans gloire.
Les transfusés du jour arpentent les hémisphères asymétriques du biotope originel.
————————- IX ————————-
les sages se retirent.
————————- X ————————-
car vivre est une obligation et rêver une option.

FIEL DE LA TERRE

à l’aube du levant
des grandioses simagrées longitudinales
des traversées capricorniennes
des prophètes enturbannés déchirent le silence du language
des putains au ventre éméché
emplissent leur calice
du fruit des entrailles de marins avinés
les assis cacochymes
s’envoient des shots de ventricules
dans la cacophonie naissante du matin
les tripes à l’air
un corbeau pattes en l’air
arrache de son bec ce qui lui reste d’yeux
l’azur rouge sang est fendu
de hurlements au point de croix
c’est l’heure des bernard-l’ermite pédophiles
dans les lignes express souterraines
c’est l’heure
des viandes arrachées
dans le ventre des colonies humaines
c’est l’heure du grand silence blanc
des containers d’identité
dans les cloitres aseptisés
des nouveaux circuits neuronaux.
les bienheureux les imbéciles les idiots les crânes aqueux
convergent vers le point Omega
fractales inverses
affluents sanglants des torrents monumentaux qui charrient des corps désossés
les simagrées concupiscentes
des arachnides opiacées
inversent le processus et implosent les dieux ancestraux
le temps n’est plus roue
il est autoroute en droite ligne
le temps s’effondre
sur la révélation des tensions globales
les bennes automatiques charrient des tonnes de boyaux de cervelles de nerf et de bactéries fongicides
nourriture épistémologique des témoins de la renaissance
les partisans de la secte glacée
affrontent en rangs dispersés
les nuages de flèches octosyllabiques
les pluies sèches de hallebardes
les harangues acérées
dans les palanquins tarabiscotés
cousus de barbelés mérovingiens
les califes aux bagues couronnées
contemplent leur ventre
boursouflé
les migrations de salomés aux ailes de soie brodée
dissimulent les éclipses factices
de l’astre au cœur de lactance fanée
et le fiel de la terre
se déverse enfin en bouquets éclatants.

SOUMISSION

homme dissocié homme atomisé
les humains mutants prédateurs des temps anciens ont extendu leur omnipotence
la domestication archaïque du bétail humain
s’est étendue à toute la planète
la soumission est établie comme règle de base
aux espèces autres comme à sa propre espèce
auto-soumission
de bipèdes anesthésiés en état de choc permanent
les monstres ont grossi
devenus grands argentiers visibles ou invisibles
ont modifié la perception du réel
brouillé d’ondes parasites le présent
et du fond de leur terrier
ils crachent leur venin
leurs glaires rendant aveugle
sur la colonie
au royaume de l’ancienne invasion germanique
un nain fou et frustré
a été nommé roitelet
par la grâce des grands argentiers
un nain fou et frustré
petit commissionnaire des grands argentiers
petit livreur des recettes extorquées
a été endimanché
pour blanchir la grandiose tromperie
les monstres ont fabriqué
par modification du code originel
une armée de noirs scarabées
bipèdes exosquelettes
ces mercenaires robotisés
aux prothèses guerrières multiples
le ciel s’obscurcit
d’insectes volants
quadri-membrés
à œil ventral
patrouilles silencieuses
de corps ordonnés
au service du petit commissionnaire endimanché
et de ses commanditaires
des yeux intelligents
quadrillent l’espace vital
identifient
ordonnent
stockent les fiches signalétiques
dans les containers sécurisés
des milices spécialisées
paralysent d’avance les dormeurs réveillés
c’est le temps du cannibalisme
c’est le temps
des temps révélés
c’est le temps
du grand festin cannibale
de l’homme dissocié
de l’homme sidéré
de l’homme atomisé
c’est le temps
du grands festin des monstres
des grands argentiers
c’est le temps
de l’humain révélé
de l’implosion
des remontées archaïques des grandes profondeurs
des dragons des archées
des caciques des negus de la forêt des caducées
des scolopendres dorés aux mille dards
empoisonnés
déglutitions enturbanées d’anciens temps oubliés
c’est le temps révélé
c’est l’accouchement du montre intérieur
de l’alien si longtemps travesti
des spirales aux dents acérées
c’est le temps
c’est peut-être la fin d’un temps


HEUREUX LES INNOCENTS

sans cris sans larmes
bouche d’escargot
innocents
dans les limbes de l’Humanité
au corps gonflé
au ventre rond
aux griffes retournées gravées de signes mésopotamiens
les tentures les oublient
pourtant les frémissements d’un monde obscur
agitent de soubresauts logarithmiques
les apparences étoilées des envolées spectrales
heureux les innocents
et que les impotents agitent leur drapeau
de leur bras articulés
hébétés sidérés translatés
les signifiants grotesques de gesticulations bavardes
bouchent les artères grandiloquentes des systèmes catalytiques
un chaos osmotique étale sa grande misère flasque
sur le devenir du monde
la réticence des centaures à affronter les engins géants
cavalcade fantômatique
aromate des fosses symptomatiques
étirement des glandes mégalithiques
à la destruction programmée
le temps des morts agrippe sauvagement la croûte
des procrastinations romantiques
des gargouillis parasismiques
heureux les innocents
qui ne peuvent voir
heureux les sourds et les aveugles
heureux les prostrés cafardeux
croupissant aux avant-postes de leur bunker fiévreux
heureux les sans sans bouches les sans nez
et les fœtus malodorants aux haleines fleuries
avortons du miracle de la débâcle assumée
heureux les crânes farcis des catacombes stratosphériques
bénis d’étincelles aux doigts de feu
heureux les fous
heureux les innocents

AVIS DE TEMPÊTE

LE PETIT

AH c’est qu’il est sensible le petit
il voudrait quoi?
une transcendance opérationnelle
une vie exceptionnelle où chaque jour est un monument
où chaque être vivant n’est pas atteint dans sa dignité
où chaque être vivant n’est plus une bouche et un cul
où un peu plus en tout cas
quelle chochotte
quelle préciosité
quelle susceptibilité
au nom de quoi?
vous n’êtes pas ange que je sache
pas fils d’un dieu
pas dieu pas le centre du monde
pas l’ultime stade de l’évolution.
faites donc comme tout le monde
on ne moufte pas
c’est comme ça
c’est la vie
ya pire ailleurs
etc…
oui mon petit ami
on ne se plaint pas quand on a un certain confort
on ne rechigne pas
on ne s’indigne pas
car on n’a plus de dignité
vous le savez
laissez tomber
vous tapez trop haut
vous rêvez.

LA MEUTE

chiens fous qui s’entremêlent et s’entregens
meute bruyante au torse bombé
aux bruits de bouche comme des cris de guerre
la meute
caquètements volatiles et basse-cour
des gros des petits des rouges
la meute
agglomérat de bactéries
aux algorithmes complexes, mais aux règles de base simplistes
le dernier qui parle a raison
le dernier qui ment a raison
le dernier qui parade a raison
monologue logorrhée
pour gagner il faut faire tache d’huile
parler a droite a gauche
ne pas douter ne pas réfléchir trop
la meute
on s’en lasse
plus envie de parler
se coudre la langue la bouche les oreilles
régler le problème
chirurgicalement
ne resteront que les mots essentiels l’essence du néant
trop fatiguant de parler pour ne rien dire
la meute

RAPPORTS SOCIAUX

Vie sociale guerre de tranchées
économie des rapports sociaux séduction story telling
conviction croire en soi respecter l’étiquette
être politiquement correct ne pas lâcher
comprendre les codes respecter les codes respecter l’étiquette être sur le terrain
toujours sur le terrain toujours visible toujours là toujours au courant
accepter la pensée dominante chercher l’accès
faire partie du club faire partie des meilleurs faire partie des meilleurs de la crème
faire partie de la crème des meilleurs de l’excellence
faire partie de la crème des meilleurs de l’excellence d’exception
avoir beaucoup d’amis ne rien rater ne jamais faire de fautes de goût
ne jamais faire tache jamais jamais jamais jamais
toujours visible toujours là
respecté admiré adulé sollicité invité consulté
c’est du travail c’est de la peine
c’est de l’effort de guerre
la sélection est drastique
la concurrence impitoyable
mise à mort pouce baissé
occuper le terrain
surtout les jours de grise mine
quand le ciel est bas quand le plafond est bas quand le puit est profond
quand le corps est lourd quand la démarche est lourde
quand le dialogue est un supplice
quand le doute conquiert l’espace vital
quand tout devient laid quand tout devient pesant quand tout devient gris
quand tout devient noir
quand on devient transparent aux yeux des autres
quand on devient insignifiant
quand on se pose la question « que représente-je pour les autres »
rapports sociaux guerre de tranchées
économie des rapports sociaux
séduction storytelling croire en soi
le guide d’une vie réussie
réussir qui réussir quoi
réussir sa vie
injonction faramineuse aux accents flamboyants
étendard des croisés de l’excellence et du bonheur
étendard des croyants fanatiques
petite recette de cuisine aux ingrédients frelatés
auto satisfaction
compliments en tous genres
laxisme et enthousiasme paroxystique
bravo génial j’adore
accommodements en tous genres avec ce qu’on nomme communément la réalité
petits arrangements entre amis salutations variées
tours de piste et salutations
bravo l’artiste quel talent
du génie
trois petits tours et puis s’en vont
trois
petits
tours
et puis
s’en
vont

L’HEURE

L’heure n’est plus à la discussion l’heure est au drame
pour dire ce qu’on peut encore dire qu’on doit dire
pas pour rire pas pour s’occuper
l’heure n’est plus à l’heure
dépouillée écorchée
l’heure est à l’organique
l’heure n’est plus aux petites cuisines aux petits plats garnis
l’heure est aux pieds dans l’plat
des platitudes habituelles inaptes à combler ce vide coutumier
à calmer cette douleur intercostale
ce syndrome de la vérité essence ultime
tension fondamentale
scansion récurrente et fonction de base
effort inutile définitivement inutile
point omega de la viande des tripes et de la cervelle
tentative erronée d’un désir aberrant
projet inadéquat
stigmate par trop consistant
encroûté
infecté
et sanguinolent
exorcisme sans effet de l’inconsistance universelle
alors
laisser tomber ?

LE DERNIER COMBAT

Tapi dans sa tranchée il attend… la métastase prospère,
« métastase. on va encore essayer les traitements pour la nième fois ».
d’espoir en désespérance, de sursaut vital en abandon programmé,
se battre jusqu’au bout, pour le principe, parce qu’il le faut ou parce qu’on ne sait jamais…
Il veille, dort peu, partage ses nuits avec ses insomnies chroniques. Encore unb peu d’espoir.
Il se doute que c’est son dernier combat, son chant du cygne.
Alors, pour y croire, il va croiser le fer jusqu’au bout pour mener le combat puis finir sous les coups répétés de cent mille adversaires.
Un autre va, las de combattre, rendre les armes en sachant qu’il signe sa fin.
Un autre encore va, par honneur dérisoire, par esthétisme inutile mais vital, tirer la dernière salve vers l’adversaire pour se faire achever par mille balles meurtrières et tomber à terre au champ l’honneur.
Et tous mourront, avec ou sans panache, lâches ou battants stupides, esthètes, ou doigt d’honneur vers le ciel.
Et tous mourront.

LES SENIORS

Dans les aéroports on voit des seniors actifs qui se démènent pour ne pas voir qu’ils sont déjà à demi morts.
S’affolant devant l’échéance proche ils profitent d’une fenêtre de tir entre la fin d’une vie d’apparences et Alzheimer ou Parkinson.
Evasion provisoire
illusion des grands soirs
devant le monde suivant
qui s’éloigne à grands pas

SUBLIME

Crottes de mouches sur papier
Signes sur écran
Sons bruits onomatopées incantations
Mouvements ordonnés ou chaotiques
Imprécations interjections apostrophes harangues
Introspection
Immersion subaquatique
Confrontations
Transformations
Ivresses et dérives
Insolations
Fabrications
Malaxations
Cuissons ingestions
Génuflexions
Destructions
pour tenter d’atteindre le sublime
c’est humain
c’est pathétique
c’est tout petit
et c’est sublime

CONSTAT INTERNE

MANIFESTE INADEQUAT

avancer sur mon chemin
le vent du temps m’emporte par lambeaux
mes chairs à vif
A vouloir trop en dire
je n’ai rien pu dire
ALORS
je revendique
la voix au chapitre de ma vie
Je clame, je déclame, je réclame
J’interprète et j’enrage.
J’intercepte en amont
mes démons
Je revendique
le droit d’être vivant ET mort.

MORT LENTE

c’est dans les vagues du jour répété
qu’il sculpte son œuvre maudite
de sculpteur à sculpté
il imprègne l’argile
il ouvre une bouche au cri de silence
cheminant comme tant d’autres de son espèce
il donne forme à sa misère
et même écrire est difficile
tant sa vie lui a brisé les mains
de sculpteur à sculpté
il imprègne la masse
de son absence confirmée
de son absence confirmée
il ne sait peut-être même plus hurler
tant sa bouche a été murée
il se dit que peut-être
la vie peut venir le chercher
espoirs battus
sentiers coupés
il ouvre son âme au silence
au doute
à l’amertume
il voudrait en finir
mais pieds et poings liés
le temps qui passe l’englue
sur son ruban aphone et gris
le temps le tue
le temps le tue
le temps le tue…
car il faut vivre
quitte à souffrir des moindres maux
quitte à ce que l’amour s’effile
quitte à ce que les mots se vident
du vital à l’inerte
il se dit que peut-être
on viendra le chercher

S’USER

S’user a tenter d’écrire
sans muse
cent fois la même histoire
sans cesse recommencée
pour trouver un style
son style
LE style
refaire cent fois sa vie
répéter sa vie
pour casser le verbe
pour en sortir vainement une once
de vie
et au bout du compte
une vie, un homme, pas d’œuvre.

J’ENFANTE DES MONSTRES

Je ne suis pas femme mais j’enfante; j’enfante des monstres, des masses sonores indéterminées, ectoplasmes produits par mon être intérieur, défécations massives, mollusques plastiques sortant de moi par mes doigts, anacondas rampants, boas dangereusement enveloppants ou cobras dansants.
J’enfante des monstres qui sont posés là comme un veau nouveau-né gluant et encollé mais à la puissance du taureau
J’enfante des monstres qui sont posés là comme une masse caverneuse et fluide, une larve étrange lente et pesante.
J’accouche, je me libère, je ponds l’intrus, l’alien, le parasite et je l’écoute et le réécoute, abasourdi, vidé, creux, et je le pèse, le soupèse, l’évalue sous tous les angles, j’analyse cette matière unique et la renifle comme un chien sent un étranger, je m’en étonne et la questionne.

POÉTE PRENDS TA LUTTE

Poète prends ta lutte et viens tout embraser…
en ces temps obscurcis
d’insectes noirs bipèdes et carapaçonnés armés de mille dards
chiens d’attaque des porte-flingues au service des cafards mous tapis dans leurs tanières

Nous pauvres âmes fatiguées de trop connaître l’envers du décor
Désenchantés du théâtre des illusions
tout savoir et ne rien pouvoir
tout savoir et ne plus vouloir

D’autres, pauvres âmes épuisées de ceux qui ne savent même pas,
Obscurcis d’ignorance et de démission
Naviguant à vue dans la brume des messages subliminaux

Haut les cœurs vous qui savez ou qui pouvez
dites chantez criez hurlez ce que vous savez
mettez un sens sur les mots
pour ceux qui ne le peuvent pas ou plus

Eclatez le mur de verre de ce silence mortel.
Sortez l’arme des mots sans peur
Sortez l’âme des morts sans peur
Au nom des frères de désarme

Pas d’évolution sans révolution

SALMIGONDIS

Vision mentale
horizon vertical
moelle épinière arbre droit
l’os et la moelle
aile
telle
que
maraude
allongé
sur canapé
pommade animale
l’athée est prêt madame
Aristophane sous cellophane
une nouvelle fraîche
comme un hareng salé
dinette tinette et petite poussette
quelle fête mon ami
tiens une télé contrariée
barbouillée cafouillée
tiens un poing congelé
tiens une opération du doigt dans le nez
faut râper faut gratter faut touiller
râper gratter touiller
ratiboiser
payer la girafe
gouters sur l’herbe
herbe de soleil
couchée sous le poids
des corps
mousse des secondes écoulées
la rivière paresseuse
serpent paisible
corps allongés
entre deux eaux
entre deux secondes
réminiscence d’une parenthèse passée
d’une parenthèse remisée
entre parenthèses
l’étirement voluptueux des corps
un état caduque
des pensées éthériques
une écharpe brodée d’espoirs
d’or et de brocarts
au fil de l’eau
des pensées qui s’effilochent
au fil des brises discrètes
au fil des pensées invisibles
arbres à la feuille d’or
d’aube en soleil couchant
l’oiseau pose son chant
sur le champ des jours
aux ailes brocardées de satin
poules sans bec
éléphants sans défenses
coqs sans ergots
mâles sans gonades
vaches sans cornes
femelles sans ovaires
humains sans bouches

LES CHAUSSURES

Et le soir les chaussures qu’on enlève
gueules ouvertes relâchant leur étreinte
sur la chair meurtrie et lasse, laissent dégorger leur vacuité
dans le silence de l’instant tardif…

RENCONTRE

  • Salut passant! tu cherches qqn un peut-être…
  • euh oui… je me cherche…
  • Ah! tu n’en es pas loin. retourne sur tes pas, c’est dans les petits chemins au fond. quoique je connais un raccourci
  • je prends!
  • c’est juste sous toi, l’accès est étroit mais la descente et douce
    il suffit de de se laisser glisser se laisser glisser.
    le temps n’a rien à voir là-dedans, c’est d’un autre ordre. Le temps n’a rien à voir, rien à voir.
    il suffit de se laisser glisser au fond sans crainte, sans espoir, sans émotion, sans sans sans sans
    sans rien c’est tout tout saisir en totalité devenir tout être tout être et c’est tout être c’est rien
    être c’est ne plus être être c’est être ce n’est pas
    allez passant va sans crainte et sans chercher
    allez passant va meurs à ton être
    pour mieux renaitre
    allez passant va va va va va va va
    le temps n’a rien à voir dans l’histoire

LA BOUE DU TEMPS

Musée d’épaves. Elles s’enfoncent lentement dans la boue, comme les restes de nos morts qui deviennent terre. Elles deviennent doucement rouille, elles deviennent squelette pour des petites vies, elles deviendront oxyde de fer. Et leurs protecteurs les aiment aiment ainsi, dans leur lente disparition comme les vivants s’effacent lentement de ,nos mémoires.
Car il en est ainsi, nous nous enfoncerons tous dans la boue du temps.

LE CHEVAL DE TURIN

Se sentir mule ou cheval de trait
une vie à trainer sa charge
à labourer les terres infertiles des nécessités
des compromis
des compromissions
mission obligatoire
service si vil obligatoire
engoncé dans les harnais
obligé comme un laquais
attifé étouffé encarcané
domestiqué

S’ENIVRER

S’enivrer jusqu’à la mort,
exploser en plein vol en touchant le sublime.
S’éjecter de sa légende personnelle.
Eclabousser l’espace d’un grand cri
Fracturer l’édifice
Dévoiler l’artifice
Arracher la chair
Gratter jusqu’à l’os ses plaies à vif
Trancher hacher

Devenir SUPERNOVA !

NAVIGATION PROUSTIENNE

Avant futur Arrière passé (voire arrière pensée)
Naviguer assis vers l’arrière :
contemplation des traces des paysages écoulés qui disparaissent au loin et se diluent
maintenir le souvenir le regarder le scruter et sans anticiper
savourer les souvenirs cuisiner les résidus du temps sans pour une fois imaginer des possibles
dont au mieux
un seul
adviendra
regarder vers l’arrière du bateau qui avance c’est un acte proustien
sombrer dans les délices
de la digestion
de ce qui n’est plus
et n’a jamais été vraiment d’ailleurs
côtoyer les fantômes s’abîmer dans une perpective fantomatique
en un état de sidération absolue
abandonner l’idée du retour en arrière ne plus agir ne plus penser libre de se détacher enfin
des attentes vaines.

FIN D’ÉTÉ

envolées les certitudes
évanouis les jugements
je lève l’encre
pour une mer des tropiques sans tempêtes
des eaux calmes et des cormorans bariolés
des calmes plats et des attentes ensommeillées
des yeux mélancoliques et nimbés de mauve
et la houle sans cesse répétée
m’emporte en des cieux plus cléments
seul comme toujours
et entouré
de cent mille anges
aux ailes repliées
je m’étire et ne suis plus lié
aux amarres de mes semblables
le chemin que j’ai parcouru
solitaire et plein de déliés
m’emmène sur une droite ligne
à l’horizon de mes pensées
au souffle sans cesse répété
j’abroge le devoir d’aimer
je laisse l’amour de l’été
et pour morte sur le bas côté
une peau lasse et ravinée
moi-même je deviens gaz éther et vide
en un jardin de fin d’été
quand le soleil n’a plus d’ardeur
à me brûler de vérité
j’abroge le droit d’exister
pour un silence de fin d’été
pour un silence d »éternité

FUGACE FLORAISON

Fugace floraison
d »un printemps silencieux
éphémère édition de silences suspicieux
les épiphénomènes de la temporalité contemporaine
effacent toute ardeur convulsive
de l’ardoise de mes souvenirs
la bibliothèque de Babel
recouvre de sable doté
de paillettes de quincaillerie
mon silence organique
les oriflammes des troupes venues de l’est
les étendards des lanciers en furie
les braseros des assiégeurs sempiternels
effleurent d’une caresse printanière
ma conscience en mascaret
haro sur les silences
haro sur les attentes
haro sur les patiences
mais le penseur introspecte son abîme intérieur
la position allongée devient référence
la dérision devient la règle
l’attente encore l’attente
et le jour s’écoule, bile des mille regrets
habile tailleur de l’effilochement des désirs
et le jour s’écoule, complice de ma désertion,
et les mots s’écoulent
témoins de mon abandon de poste.

AUTOMNE

l’automne des ivresses de la vie
ouvre un océan de liberté

QUE

Que dire
quand tout est dit

RESTER VIVANT

c’est la mort assurée si je ne reste pas vivant
pourquoi s’obstiner?
pour écrire encore et encore
pour ce geste inutile et beau
pour ces personnes qui ne me liront jamais
et n’en ont pas envie
par croyance par instinct de survie
pour ne pas mourir
ne pas disparaitre dans une indifférence confirmée
pour décoller mes pieds de la boue de la vase des sables mouvants
des jours semblables
des jours petits et sans espoir
des jours bavards mais creux
des bruits de verbiages accessoires
du silence définitif d’avec mes semblables
pour tenter encore et toujours
de prolonger ad libitum
ces quelques instants rares et précieux
ces quelques instants nimbés de présent
où j’ai pu toucher le soleil
sans même y penser
où j’ai pu toucher l’autre
et mon intime conviction.
Alors je vais travailler à rester en vie
pour rien pour rester vivant.

remerciements à Michel Houellebecq pour « rester vivant »